Aujourd’hui je suis ravie de pouvoir partager avec vous un article sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : les violences éducatives ordinaires. C’est un sujet auquel je me suis particulièrement intéressé lors de ma dernière année de Master, j’y ai d’ailleurs consacré mon mémoire de fin d’étude. C’est un phénomène qui existe depuis très longtemps (pour ne pas dire depuis toujours), mais ce n'est que récemment qu’on a posé les mots de « Violences éducatives ordinaires ». En tant que psychologue, j’ai une responsabilité sur le sujet. Je me dois de sensibiliser un maximum de personnes et de pouvoir, grâce à ma pratique, dépister les VEO et accompagner les familles/professionnel(le)s qui y ont recourt. C’est pour cela que j’ai choisi de faire ma première publication sur ce sujet, afin de pouvoir vous amener à réfléchir dessus. Je serais d’ailleurs ravie de pouvoir échanger avec vous, si vous le souhaitez. Bonne lecture !
Les violences éducatives ordinaires, qu’est-ce que c’est ? Ça touche qui ?
Les violences éducatives ordinaires (VEO) sont des « violences » car elles regroupent un ensemble de pratiques coercitives et punitives ; elles sont dites « éducatives » car elles sont effectuées par les adultes dans une visée éducative ; elles sont « ordinaires » car elles sont utilisées, normalisées et parfois recommandées par la société (Gueguen, 2014). Les VEO peuvent être physiques et/ou morales.
Les VEO physiques regroupent plusieurs types de comportements tels que les gifles, pincements, fessées, secousses, projections, tirage de cheveux, tapes sur les oreilles, etc. Les VEO morales peuvent être des paroles dévalorisantes, humiliantes, blessantes, du chantage, des menaces, des moqueries, des mensonges, de la culpabilisation, etc. (Gauthier, 2010 ; Gueguen, 2013 ; Assemblé nationale, 2018). Pour préciser davantage sur ce que sont les VEO morales je vais vous citer quelques exemples : "T'es bête ou quoi ?", "T'es méchant", "Si tu ne fais pas…, tu n'auras pas…", dire devant toute la famille "Tu te souviens hier quand tu as fait …, c'était une bêtise", "C'est pas bien de faire ça, tu fais de la peine à…". Également, je tiens à rappeler que certaines punitions sont très humiliantes et blessantes, par exemple mettre l'enfant au coin face au mur (Je détaillerais davantage ce point dans un prochain post).
J’insisterai tout au long de l’article sur ces deux types de VEO car souvent dans l’esprit des gens, les VEO sont le synonyme de la fessée alors que ce n’est pas la seule pratique qui est utilisée par les adultes !
En France c’est près de 87% des enfants qui subissent des VEO de façon quotidienne de la part de leurs parents (Assemblée nationale, 2018). C’est donc près de neuf enfants sur dix qui subissent des pratiques punitives et coercitives dans leur quotidien, et par conséquent, neuf parents sur dix qui ont recours à ce type de pratiques. J’insiste particulièrement sur ces chiffres tant ils sont importants. De plus, la frontière entre les VEO et la maltraitance avérée reste très floue. Effectivement, certains parents n’ayant « pas appris à empêcher l’escalade », 75% des maltraitances avérées sont des punitions corporelles et sont commises à titre éducatif (Assemblé nationale, 2018). Mais les VEO ne sont pas qu’une affaire de famille, elles existent aussi dans les collectivités (crèches, écoles, centre de loisirs, etc.).
De l’enfance à l’âge adulte : des conséquences qui s’étendent sur la vie entière.
« Une fessée, c’est pas si grave et puis ça permet de marquer les limites. Ce n’est quand même pas l’enfant qui décide non ? »
Souvent on remarque que pour les adultes qui utilisent des VEO (morales ou physique), il y a derrière l’idée de marquer les limites auxquelles l’enfant doit se plier car « ce n’est qu’un enfant ». La place de l’enfant dans la société reste complexe dans la mesure où l’adulte doit l’estimer comme dépendant de lui, sans pour autant le considérer comme inférieur. En effet, il faut jauger pour ne pas tomber dans l’adultomorphisme qui « désigne notre vilaine tendance à nous autres, les adultes, à interpréter les comportements des enfants comme s’il s’agissait d’adultes miniatures. » (Héloïse JUNIER), tout en ne tombant pas non plus dans la croyance selon laquelle l’adulte est dominant et que l’enfant doit se soumettre à ses ordres.
Alors comment faire ? Il n’existe pas de réponse toute faite à cette question. Je vous invite donc à y réfléchir. Pour ma part, j’ai une piste de réflexion qui me semble intéressante : peut-être en commençant par considérer l’enfant comme un être humain, qui ressent des émotions. L’objectif est probablement d’accompagner l’enfant sur le chemin de la vie, avec empathie, en lui donnant la main.
Par ailleurs, à la réflexion « ce n’est pas si grave » je dirai que, effectivement la majorité des conséquences ne sont pas visibles de façon immédiate, pour autant elles existent quand même et sont à prendre en compte car elles peuvent réellement influencer le développement de l'enfant. Parmi les conséquences des VEO il existe plusieurs altérations d’un point de vue neurologique : le système limbique ainsi que l’hémisphère gauche, qui sont impliqués dans le langage ; l'hippocampe et l’amygdale, qui jouent un rôle fondamental au niveau de l’affection, de l’attachement, du langage et du contrôle de soi (Hergoz-Evans, 2005) ; le cortex orbito-frontal peut également être altéré, ce qui peut conduire les enfants à avoir des difficultés fonctionnelles, rendant difficile leur capacité à s'adapter à des contextes sociaux changeants (Hanson et al., 2010).
Ces altérations neurologiques sont donc à mettre en lien avec les comportements des enfants ayant subi des violences physiques. Effectivement, ces derniers peuvent rencontrer de nombreuses difficultés d’un point de vue comportemental. Nous pouvons noter qu’ils peuvent faire preuve d’une plus grande agressivité (Gershoff, 2002, 2012 ; Hergoz-Evans, 2005 ; Maguire-Jack, 2012 ; Taylor, 2010) et de comportements antisociaux (Gershoff, 2002, 2012). De plus, comparativement à des enfants ayant reçu une éducation empathique et positive, les enfants qui ont reçu une éducation punitive (comprenant les fessées) ont tendance à être davantage insensibles, durs et à avoir recours aux mensonges (Waller, 2012).
On repère ici le cycle de la violence : un enfant violenté intègre que la violence est une réponse possible, le rendant souvent lui-même violent envers les autres (Gueguen, 2014). De même que les violences physiques, les violences morales peuvent avoir des conséquences sur le plan neurologique. En effet, les paroles blessantes, humiliantes et méprisantes peuvent entraîner une altération de circuits neuronaux et de zones cérébrales impliqués dans la compréhension du langage (Choi, 2009 ; Tomoda, 2011). Ces altérations peuvent représenter un facteur de risque dans le développement des troubles anxieux, dépressifs et dissociatifs (Choi, 2009). Également, elles peuvent mettre l’enfant en insécurité et ébranler l’estime qu’il a de lui-même (Gueguen, 2014). De ce fait, les violences morales peuvent avoir des conséquences qui sont aussi importantes à prendre en compte que celles des violences physiques.
De plus, il faut souligner que les conséquences des VEO reçues lors de l’enfance, peuvent perdurer à l’âge adulte. L’une des conséquences notables est le développement de troubles psychiques chez l’adulte. En effet, une fois adulte, l’individu ayant subi des violences durant l’enfance peut être amené à développer des troubles de l’humeur, des troubles anxieux ainsi que des troubles de la personnalité et un risque de suicide plus important (Afifi, 2012 ; Gattepanche, 2017 ; Gilbert, 2009 ; Teicher, 2006). De plus, ces adultes ont des risques de développer des dépendances à l’alcool et aux drogues (Afifi, 2012 ; Gattepanche, 2017 ; Gilbert, 2009).
Par ailleurs, une des conséquences qui persiste lors de l’âge adulte est la violence en elle-même. Comme cela a été expliqué précédemment, la violence peut être considérée comme un cycle. L’enfant violenté apprend vite (vers 3-5 ans) à être violent (Gueguen, 2014). Mais le cycle ne s’arrête pas là, l’enfant violent peut être amené à devenir un adulte violent. Il peut l’être avec l’ensemble de son entourage : avec son/sa conjoint/e mais également avec ses enfants (Gueguen, 2014). Ainsi, le cycle peut se perpétuer : l’enfant violenté par ses parents peut être susceptible de violenter ses enfants, qui auront des risques de devenir violents à leur tour.
« La violence n'est pas innée chez l'homme. Elle s'acquiert par l'éducation et la pratique sociale. » (Françoise Héritier)
La citation de Françoise Héritier peut être comprise de la manière suivante : puisque nous ne naissons pas comme étant violent, ce sont bien les transmissions sociales et culturelles qui contribuent à perpétuer la violence. Chaque pays, et plus particulièrement, chaque culture a ses propres normes. De ce fait, ce qui relève d’une pratique tolérée ou non, diffère largement entre chacune d’entre elles. Cependant nous pouvons noter que les VEO se retrouvent dans tous les pays, mais chaque culture utilise plus ou moins certaines violences. Par exemple, en Égypte et en Inde il est plus courant de gifler ou de taper sur la tête son enfant, alors qu’aux Philippines et au Chili c’est la fessée qui est le plus utilisée (OMS, 2002). Il faut noter que tous les pays ne s’accordent pas sur le fait de considérer certaines pratiques comme étant abusives, par conséquent, elles sont souvent tolérées. En effet, seulement onze pays les interdisent d’un point de vue juridique. On comprend donc la complexité du phénomène de violence. Chaque pays, et même chaque individu, a sa propre représentation/définition de ce qu’est la violence. Et c’est très exactement ces différences de définition qui conduisent certaines personnes à les tolérer et parfois même à les recommander.
Et la justice alors ? Est-ce qu’elle les interdit ?
Comme je l’ai dit précédemment, tous les pays n’interdisent pas juridiquement les VEO. En revanche c’est le cas en France. En effet, le 10 juillet 2019, la Loi n° 2019-721 relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires a été adoptée. Elle précise notamment que
« L'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques. » (Article 371-1).
L’adoption de cette loi est déjà une grande avancée. Cependant, cela ne suffit pas. Effectivement, elle est trop peu promue au sein de la population. De ce fait, trop peu de personnes en ont connaissance. Par ailleurs un autre problème existe, si l’on s’attache seulement à lire l’article de loi, le terme de « violence physique et psychologique » reste trop vaste. En effet, comme je l’ai expliqué précédemment, chaque personne à sa représentation de ce qu’est une violence. Par conséquent, autour d’une table, lors d’un repas entre amis, une personne considérera la fessée comme une violence alors que la personne à coté, non. Il semble donc nécessaire d’être précis quant aux comportements (physiques et moraux) qui sont considérés par cette loi comme étant des violences. Pour cela, nous pouvons nous référer à la définition des VEO.
Comment prévenir les VEO ?
Je n’ai pas de réponse précise à cette question, seulement quelques points de réflexion. Personne n’a dit qu’être parent ou professionnel(le) est facile. Bien au contraire ! C’est parfois (même souvent) épuisant, tant physiquement qu’émotionnellement… Cependant il est toujours possible de réfléchir à d’autres alternatives. Souvenez-vous de ce qu’a dit Dolto
« On ne naît pas parent, on le devient ».
Que l’on soit parent, grands-parent ou professionnel(le) travaillant avec des enfants, il peut être intéressant d’interroger nos propres représentations sur ce qu’est la violence pour nous. Quelles sont les situations qui me conduisent à avoir recours aux VEO (physiques et morales) ? Si je ne considère pas les comportements cités plus haut (fessées, chantage, tirage d’oreilles, etc.) comme étant des violences, pourquoi ? Vous pouvez aussi réfléchir à la phrase suivante
« Pourquoi appelle-t-on agression le fait de frapper un adulte, cruauté le fait de frapper un animal, mais éducation le fait de frapper un enfant ? »
Cependant vous noterez que réfléchir sur ce sujet n’est pas chose facile. En effet, cela demande souvent de s’interroger sur l’éducation que l’on a donné à nos enfants, ce qui peut amener de la culpabilité. Et surtout, ça demande de se questionner sur l’éducation que nous avons nous même reçue, ce qui vient parfois détériorer l’image que l’on a de ses propres parents… Car comme je l’ai expliqué les VEO sont souvent une affaire de transmission. Mais comme Héloïse JUNIER a pu le dire lors d’une conférence :
« Aucun enfant au monde – aucun – ne mérite d’être frappé ou insulté. Quoi qu’il ait fait. Les enfants ne sont pas méchants, ni malveillants. Vous non plus, (Monsieur,) quand vous étiez enfant, vous n’étiez pas méchant, ni malveillant. Vous étiez un enfant, tout simplement. Vous méritiez qu’on vous prenne dans les bras, que l’on vous console et que l’on vous traite avec respect… ».
Alors dites-vous une chose, aussi difficile que cela puisse être, il n’est jamais trop tard pour s’interroger sur nos comportements et pour essayer de les changer. Le cycle de la violence peut s’arrêter, et cela peut être grâce à vous. Si vous le souhaitez, vous pouvez vous informer sur le sujet, potasser quelques livres/articles, en discuter en famille et/ou entre amis. Et dans le cas où vous souhaiteriez vous interroger sur le sujet mais que cela est trop difficile car les souvenirs sont parfois douloureux, vous pouvez vous faire aider par un psychologue qui vous accompagnera sur ce nouveau chemin.
Quoi qu’il en soit, la prévention au sujet des VEO est plus que nécessaire puisque c’est un phénomène qui existe et qui est même reconnu par l’assemblé nationale comme étant un problème de santé publique. De ce fait, les professionnel(le)s ont (également) un rôle important à jouer. Notamment dans la sensibilisation et dans le dépistage des VEO. Ateliers, groupe de parole, conférence, sensibilisation lors de consultations… Plusieurs moyens sont possibles pour se mobiliser.
Je terminerai cet article avec une citation de Serge Desjardin qui résume parfaitement l’importance que chacun s’implique au sujet des VEO :
« Pour partager chacun notre lumière : s’impliquer pour vivre ensemble dans un monde meilleur. »
Bonne réfléxion…
Johana Delesalle, Psychologue petite enfance.
Pour aller plus loin…
Livres et articles :
(2017). Éduquer avec bienveillance. Sciences Humaines, 293, 4-4.
Gueguen, C. (2015). Vivre heureux avec son enfant : Un nouveau regard sur l’éducation au quotidien grâce aux neurosciences affectives. Robert Laffont.
Gueguen, C., & D’Ansembourg, T. (2015). Pour une enfance heureuse : Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau. Pocket.
Guéguen, C. (2017). Le cerveau de l’enfant. L'école des parents, 622, 40-43.
Junier, H. (2019). Le manuel de survie des parents : Des clés pour affronter toutes les situations de 0 à 6 ans. InterÉditions.
Junier, H. (2021). Guide très pratique pour les pros de la petite enfance : 47 fiches pour affronter toutes les situations (2e éd). Dunod.
Junier, H., & Besse, C. (2021). Ma vie de bébé : De 0 à 3 ans, les mystères de son petit cerveau en développement. Dunod.
Petit-Mielet, A. (2018). Pleurs des bébés en question(s): Au cœur du protocole : des décisions précoces concernant la gestion émotionnelle et la gestion du stress. Actualités en analyse transactionnelle, 164, 3-21.
Quelen, C. (2021). LeDécodeur des violences éducatives ordinaires. First.
Solter, A. J. (2015). Bien comprendre les besoins de votre enfant (Nouvelle éd). Jouvence éditions.
Solter, A. J., & Mouton di Giovanni, S. (2015). Pleurs et colères des enfants et des bébés : Comprendre et répondre aux émotions de son enfant (Nouvelle éd). Jouvence éditions.
Gauthier, C. (2010). 'Qui aime bien, châtie bien !', Rev Med Suisse 2010; volume -4. no. 246, 887 - 889
Site internet :
Proposition de loi n° 1331 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires.
Structures qui luttent contre les VEO (à ma connaissance) :
Association StopVEO
Observatoire des Violences Educatives Ordinaire (OVEO)
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