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Le contrôle des sphincters : un apprentissage ou une acquisition ?

Johana Delesalle

Dernière mise à jour : 5 juin 2023


Quand l'entrée à l'école approche, une chose tourmente souvent les parents : la "propreté" de leur enfant. Cette période est souvent très stressante pour les parents, mais encore plus pour les enfants... S'en suis alors toute une organisation pour réussir à faire en sorte que l'enfant "apprenne à être propre". Mais un enfant peut-il réellement apprendre à "être propre" ? Comment l'accompagner pendant cette période ?


Vous savez à quel point j'accorde de l'importance aux mots qui sont utilisés. Je me suis donc longuement interrogée sur le titre que j'allais donner à cet article : "apprentissage de la propreté", "acquisition de la propreté", puis en me documentant sur le sujet il m'a semblé que le titre "contrôle des sphincters" était plus approprié à la réflexion que j'ai construite sur le sujet.


L'enfant "propre" suppose-t-il l'existence de l'enfant "sale" ?


On parle souvent d'enfant propre, d'acquisition ou d'apprentissage de la propreté. Le fait de considérer les urines et les excréments comme "sales" est très culturel. En effet, tous les mammifères défèquent et urinent, et ce depuis des millénaires car c'est tout simplement naturel et biologique.


J.M. Buzelin (2002) dit que "Phylogénétiquement, l'acquisition de la continence fut un progrès nécessaire à la survie de l'espèce". En effet, il explique que l'acquissions de la continence est liée à notre évolution et cela à des fin de survie de l'espèce. En effet, l'urine ayant une odeur, elle rendait nos ancêtres repérables et donc vulnérables en tant que proie.

Initialement, le contrôle de la miction permettait donc de se soulager si besoin, de marquer le territoire, d'attirer les conquêtes, etc. L'humain qui utilise désormais davantage le contrôle de la miction à des fins sociales et de confort (sur le fait d'être "propre" notamment).


Il est donc important de garder à l'esprit que la déjection d'urine et d'excréments, n'est pas sale, mais naturelle. Et c'est pour cette raison que j'ai décidé d'intituler mon article "contrôle des sphincters", pour éviter le terme "propreté".


De façon plus large le mot familier "caca" est utilisé pour désigner quelque chose de sale ou de dangereux. Par exemple "ne mets pas ça à la bouche, c'est caca". Cette confusion entre le caca qui désigne l'excrément et le caca qui désigne quelque chose de sale ou de dangereux, peut laisser penser à l'enfant que son caca est sale et dangereux. Or avec cette perception, il sera plus difficile pour l'enfant d'appréhender le moment ou il devra d'éjecter ses excréments aux toilettes.


Un enfant peut-il apprendre à "être propre" ?


Dans un premier temps, afin d'introduire cette partie, je tenais à rappeler que l'incontinence chez l'enfant est qualifié d'énurésie (incontinence urinaire) et d'encoprésie (incontinence fécale) qu'à partir de 5 ans. Par conséquent, avant cet âge, les incontinences que l'on qualifie "d'accident" ne sont absolument pas problématiques.


Contrairement à ce que beaucoup d'adultes pensent, non un enfant ne peut pas apprendre à être propre. Et pour cause, "être propre" dépend en fait de la possibilité (ou non), de contrôler ses sphincters. Et comme tout, ce contrôle est le résultat d'un processus développemental.

Ce processus dépend de plusieurs choses.


La première, est la maturité du système nerveux. En effet, le contrôle des sphincters ne dépend pas uniquement de la volonté ou de la motivation de l'enfant mais avant tout de la maturité de son système nerveux. La seconde est le résultat d'un processus psychologique. L'enfant est en mesure d'uriner et de déféquer ailleurs que dans sa couche lorsqu'il se sent prêt et qu'il en a envie.


Pour pouvoir contrôler volontairement ses sphincters, l'enfant a besoin de se familiariser avec son propre corps. Plus particulièrement avec les sensations qui lui sont propres.

Premièrement, pour contrôler ses sphincters l'enfant a besoin de reconnaître son besoin d'uriner ou de déféquer. Tout comme un enfant apprend a reconnaître la sensation de faim, il doit apprendre a reconnaître cet autre besoin. Malheureusement, il n'est pas rare que l'adulte interfère dans la reconnaissance de ce besoin : il pose l'enfant sur le pot ou les toilettes régulièrement sans que l'enfant en ai exprimé le besoin. Ce comportement de la part de l'adulte, ne permet pas à l'enfant de repérer ses sensations corporelles, et de comprendre à quel moment il a envie d'aller aux toilettes. Dans certains cas la couche reste sèche car l'enfant à été posé sur le pot ou les toilettes suffisamment fréquemment et longtemps pour faire ses besoins. Or dans ce cas la :

"Même si l'enfant ne s'oppose pas à ces exigences dépassant sa maturité, ce n'est pas lui mais l'adulte qui contrôle ses sphincters." - J. Falk & M. Vincze, 2012.

Deuxièmement, l'enfant doit pouvoir se retenir. Savoir se retenir dépend également de la maturation du système nerveux. De plus, dans notre culture, nous utilisons des couches. Cette utilisation a permis à l'enfant de se soulager de façon immédiate. L'enfant doit donc s'abstenir d'un soulagement immédiat et cela va dépendre, d'abord de sa maturité physiologique et ensuite de SA volonté et SA motivation à ne plus vouloir de couches.


Ensuite, physiologiquement parlant, l'enfant doit être en mesure de déclencher sa miction pour uriner. Il est important de préciser que la miction est étroitement liée aux émotions : lorsqu'un enfant est stressé, qu'il est en colère, qu'il rie beaucoup, cela peut déclencher une miction complète, que l'enfant ne peut pas contrôler.


Enfin, l'enfant doit être en mesure de rechercher les conditions et l'endroit qui sont appropriés pour se soulager. Au fur et à mesure, quand il en aura envie et qu'il se sentira prêt, il ira de lui-même aux toilettes ou au pot pour se soulager.


Pour résumer, reprenons les étapes de J. Falk & M. Vincze (2012, p197) :

  1. L'enfant reconnaît son besoin

  2. Il s'abstient d'un soulagement immédiat

  3. Il recherche les conditions et l'endroit qui conviennent

Or, comme elles le précisent dans leur article, voici la logique de "l'éducation sphinctérienne" qui est souvent mise en place par l'adulte :

  1. L'adulte propose le pot indépendamment du besoin ressenti par l'enfant

  2. On attend que le besoin se présente

  3. L'adulte exprime son approbation ou sa réprobation en fonction du résultat

Finalement, lorsque les choses sont formulées de cette façon, la pression qui est mise aux enfants par rapport aux contrôle des sphincters est plus flagrante. Alors est-ce que cette notion de propreté ne serait-elle pas un désir d'adulte ?


La propreté... Un désir d'adulte ?


Je dirai même un désir institutionnel. La pression que les parents mettent à leurs enfants n'est que le résultat de la pression qu'ils reçoivent eux-mêmes ou qu'ils pensent recevoir, de la part de l'école. Ce fameux stress de déposer son enfant à l'école en septembre et qu'il ne soit pas en mesure d'aller aux toilettes lorsqu'il en a besoin...


Premièrement, rappelons l'origine de cette pression. Initialement, l'école étant obligatoire à 6 ans, un.e directeur/directrice pouvait refuser l'entrée de l'enfant avant cet âge s'il n'était pas considéré comme "propre". Or, de nos jours, l'école étant devenue obligatoire à 3 ans, il n'est plus possible de refuser votre enfant, même s'il ne contrôle pas parfaitement ses sphincters. De plus, dans la majorité des cas, les épisodes d'incontinence en début d'année, sont mieux tolérés par l'école que ce que l'on croit.


Deuxièmement, la majorité des parents commencent à être grandement préoccupé à partir du mois de mai/juin, ce qui veut dire 4 à 5 mois avant la rentrée scolaire. Comme Héloïse Junier (2018) le rappel, cette période représente un sixième de la vie d'un jeune enfant (soit 6 ans dans la vie d'un adulte âgé de 40 ans). Durant cette (longue) période, l'enfant peut faire tout un tas de nouvelles acquisitions, dont celle du contrôle des sphincters.


Relativisons donc sur ce désir et cette pression que l'on peut ressentir concernant le contrôle des sphincters et la rentrée scolaire. Mettre une trop grande pression à l'enfant ne l'aidera en aucun cas dans ce processus. Bien au contraire, ça peut même le retarder. Et pour cause, puisqu'il s'agit de son corps, l'enfant à besoin de pouvoir le contrôler. En imposant à l'enfant d'aller aux toilettes, en lui demandant constamment s'il a envie d'y aller, l'enfant ressent une pression sur son corps qui peut l'amener à développer certaines peurs, voir même de la continence excessive.

Aussi, lorsqu'on impose quelque chose à un enfant, on sait à quel point cela peut créer du conflit. Or ces conflits sont évitables. En effet, selon J. Falk & M. Vincze (2012), l'enfant qui a de bons rapports avec l'adulte est en mesure d'acquérir le contrôle de ses sphincters sans aucun apprentissage venant de l'adulte.


Essayons donc de prendre un peu de recul sur le stress que l'on peut ressentir et de respecter le rythme et la volonté de l'enfant.

L'évolution du contrôle des sphincters est plus ou moins rapide, à chacun son corps, à chacun son rythme.

Puisque le contrôler des sphincters n'est pas un apprentissage, vous vous demandez sûrement, comment accompagner votre enfant dans cette étape du développement ?


Mais alors, comment l'accompagner ?

Dans un premier temps, il peut être intéressant de verbaliser ce qu'il se passe au moment du changement de couche, notamment en nommant ce que vous jetez à la poubelle.


Vous pouvez aussi lui expliquer qu'il sera possible, quand il sera prêt, d'aller aux toilettes ou sur le pot. Laissez l'enfant devenir curieux, ne le pressez pas à aller sur le pot.

N'hésitez pas à parler librement de ce que sont l'urine et les selles. Si l'enfant pose des questions ou exprime des inquiétudes, il est possible de lui faire un dessin du corps en expliquant qu'on mange pour nourrir le corps, pour grandir, et que ce que le corps n'a pas besoin, il le laisse partir par l'urine et les selles.

"Il a fait la chose aux toilettes ce matin"

Employez les vrais termes, parler d'urine et d'excréments ce n'est pas sale, c'est naturel. Si vous en faites un tabou, l'enfant se sentira mal à l'aise et peut bloquer le processus.


Mais ce qu'il faut retenir par dessus tout :

Laissez lui s'approprier son corps, suivez son rythme. Parlez-en quand l'enfant le souhaite, accompagnez-le dans ce processus, mais n'imposez jamais le pot ou le toilette à l'enfant. Faites lui confiance, il est capable.


Un enfant peut-il régresser dans l'acquisition du contrôle des sphincters ?


Comme toutes acquisitions, celle du contrôle sphinctérien est rarement linéaire. Cette variation dans les processus de développement ne signifie pas une régression ou un retour en arrière, c'est parfois simplement une étape par laquelle l'enfant doit passer pour grandir (encore).


Donc oui, il est possible que votre enfant connaissent quelques "accidents", il est aussi possible qu'il vous demande de remettre des couches pendant un temps. Il est important de rester à l'écoute du besoin de l'enfant en gardant en tête en que c'est son rythme qu'il faut suivre.


Dans le cas ou l'enfant ne parvient pas à se contenir à plusieurs reprises, il peut être intéressant de repasser aux couches pour lui reproposer le pot ou les toilettes plus tard. Si les "accidents" sont fréquents c'est qu'il n'est sans doute pas prêt.


Comme pour de nombreuses choses, ce n'est pas tant à l'enfant de se presser de grandir, mais c'est à nous, adulte, d'apprendre à être patient et à prendre de la distance sur nos désirs et nos attentes.

Bonne réflexion…



Johana Delesalle, Psychologue petite enfance.



Pour aller plus loin…


Livres et articles :

  • Junier, H. (2018). Guide pratique des pros de la petite enfance. Dunord.

  • FALK Judit, VINCZE Mária, « L'acquisition du contrôle sphinctérien : sans punition ni récompense ? », Spirale, 2012/2 (n° 62), p. 197-200. DOI : 10.3917/spi.062.0197. URL : https://www.cairn.info/revue-spirale-2012-2-page-197.htm

  • J.M. Buzelin, "L'acquisition de la propreté urinaire chez l'enfant", Périnéologie Infantile, n°4 vol. II, 2002.

  • MAURICE Martine, « La propreté : toute une histoire dans les lieux d'accueil de la petite enfance », La lettre de l'enfance et de l'adolescence, 2011/1 (n° 83-84), p. 77-82. DOI : 10.3917/lett.083.0077. URL : https://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-adolescence-2011-1-page-77.htm


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Psychologue clinicienne du développement spécialisée dans l'enfance et la parentalité.

13 rue Mariaud 13016 Marseille.

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