La question de l'attachement dans les lieux d'accueil du jeune enfant est souvent mitigée… D'un coté on entend que "s'attacher aux enfants est interdit" et de l'autre, que l'attachement est vital pour l'enfant. Essayons de comprendre tout ça.
L'attachement : définition
"Être attaché à quelqu’un signifie qu’en cas de détresse ou d’alarme, on recherche la proximité, et la sécurité qu’elle apporte, de la figure spécifique à laquelle on est attaché." (A. Guedeney et N. Guedeney, 2010).
Cette question d'attachement à largement évoluée au cours de l'histoire : on s'est décentré de la relation mère-enfant pour s'intéresser plus largement à l'ensemble des liens d'attachement qui existent au cours d'une vie. En effet, avec le début de l'activité professionnelle des femmes, les enfants se sont vus confiés à d'autres personnes que leur mère. Aujourd'hui, cela peut arriver très tôt dans la vie du tout petit (à partir de 2 mois et demi pour certains) et pendant plusieurs heures de la journée. Qu'il s'agisse de la famille proche (grand-parent, oncle et tante, etc.) ou des personnes extérieures à la famille (assistante maternelle, crèche collective, etc.), la question des liens d'attachement se pose forcément. Mais voilà, cette question de liens est complexe et il n'est pas rare d'entendre que les professionnel.le.s ne devraient pas s'attacher aux enfants. Mais en réalité, est-il possible de ne pas s'attacher ?
L’attachement dans les lieux d’accueil est-il interdit ?
1. L’attachement, un besoin vital pour l’enfant
Tout d'abord, il est important de rappeler que les êtres humains (et plus largement les mammifères) sont programmés pour s'attacher. En effet, leur survie en dépend. Le nourrison nait dépourvu de toute autonomie, il dépend donc totalement des adultes qu'il a autour de lui. L'enfant a besoin d'avoir une ou plusieurs relations stables et durables avec des adultes qui s'occupent de lui. On appelle ces personnes : les figures d'attachement. On dit que celles qui s'occupent majoritairement de l'enfant (souvent les parents) sont des figures d'attachement primaire. Mais depuis la prise en compte de l'existence de la pluralité des liens, on parle aussi de figure d'attachement secondaire.
2. Le/La professionnel.le comme figure d’attachement secondaire : l’importance pour l’enfant d’avoir un adulte « référent »
Lorsque des parents vous confient leur enfant, tous deux vivent un évènement (souvent) difficile : la séparation. En lieu d'accueil, elle se produit régulièrement et de façon répétée. Votre rôle en tant que professionnel.le est d'accompagner ces moments de séparation afin qu'ils se déroulent au mieux. Lors de ces moments de séparation, l'enfant (et aussi sa famille) peut parfois se sentir stréssé, triste. C'est pourquoi il a besoin de repères stables. Parmi ces repères stables, il y a vous : un adulte vers qui il peut chercher la proximité et la sécurité dont il a besoin, surtout "en cas de détresse ou d’alarme" (cf la définition de l'attachement). Mais un enfant ne se tourne pas vers n'importe quel adulte, surtout au départ. Il a besoin de repérer un adulte disponible, en qui il peut avoir confiance et qui accepte de répondre a ses besoins. Une présence et une disponibilité récurrente, de la part de la même personne, lui permet de se sentir davantage en sécurité. C'est pour ça qu'il parait opportun qu'un enfant puisse avoir un adulte repéré vers qui se tourner, un adulte référent.
À votre tour : imaginez que vous arrivez en stage dans un endroit où vous allez passer la journée. Vous vous retrouvez alors entouré de personnes que vous ne connaissez pas, dans un nouvel endroit et vous êtes en difficulté pour vous faire comprendre. C'est une situation assez stressante non ? Ajoutez à ça que plusieurs personnes viennent vous solliciter. À votre avis, est-ce que vous ne vous sentiriez pas plus rassuré d'avoir un tuteur de stage vers lequel vous pouvez vous tourner en cas de besoin ?
Certain.e.s professionnel.le.s n'aiment pas le terme d'adulte "référent" car elles ont peur que l'enfant ne puisse pas se saisir d'autres professionnel.le.s dans la crèche. "Et si la personne référente est absente comment on fait ?". J'entends cette inquiétude, et je la comprends. Cependant être référent d'un enfant ne signifie pas être l'unique adulte à s'en occuper. Être référent signifie être la personne qui accompagnera en majorité l'enfant et sa famille, d'abord lors de la période d'adaptation, puis au cours de l'année. Vous noterez donc la différence entre : s'occuper exclusivement d'un seul et même groupe d'enfant et s'en occuper en majorité. Les autres professionnel.le.s ne sont pas exclues de répondre à leurs besoins et de leur proposer des activités.
Comme je l'ai dit, avoir un adulte référent permet à l'enfant d'avoir un repère stable et de se sentir rassuré. Et on le sait, plus un enfant se sent en sécurité, plus il est en mesure d'aller explorer (l'environnement, mais aussi les autres !). Donc pas de panique, le fait d'avoir des adultes référents n'enferme pas systématiquement (même si ça peut arriver malheureusement) un enfant et un.e professionnel.le dans une relation exclusive.
3. Les professionnel.le.s comme caregiver : une fonction essentielle au développement de l'enfant
Le caregiving "est un ensemble organisé de comportements guidé par une représentation de la relation actuelle." (A. Guedeney et N. Guedeney, 2010, p17)
Les professionnel.le.s accompagnant l'enfant au quotidien sont appelé.e.s caregiver : ils/elles occupent la fonction de prendre soin. Le système de caregiving fonctionne en duo avec le système d'attachement : Ils ont pour objectif de protéger l'enfant afin de permettre la reproduction de notre espèce Guedeney & Guedeney, 2010). Cela se traduit par le fait d'établir une proximité (physique et psychologique) avec l'enfant lorsque ce dernier se trouve dans une situation d'alarme ou de détresse. Dans ce type de situation, l'enfant va activer son système d'attachement (plus ou moins rapidement selon sa sensibilité) et émettre différents signaux (pleurs, cris, appels, etc.). La réponse du caregiver va alors dépendre de sa sensibilité à ces signaux et de ses représentations d'attachement. Effectivement, vous remarquerez que dans une structure collective, tous les professionnels ne répondent pas aussi rapidement et encore moins de la même manière aux mêmes signaux ! Par ailleurs, le système de caregiving ne s'active pas seulement lorsque l'enfant émet des signaux, ça peut être aussi le cas lorsque l'adulte lui-même perçoit un contexte de danger ou de stress.
Une fois l'enfant rassuré et réconforté, le système de caregiving peut se mettre en veille et l'enfant peut retourner explorer.
En tant que professionnel.le.s, il est fondamental de réfléchir et d'analyser ses pratiques. À mon sens, il est important de pouvoir réfléchir à sa sensibilité aux signaux. Quels signaux activent le plus votre système de caregiving ? Est-ce que celui-ci se remet en veille rapidement ou reste-t-il activé même lorsque l'enfant semble rassuré ? En somme, quelle est votre sensibilité ?
"Ne pleure pas, c'est rien, tu es juste tombé."
Il peut arriver que certains professionnels aient des réponses assez défensives aux signaux : ils minimisent, ignorent, etc. Si c'est votre cas, il peut être intéressant de vous interroger en vous posant les questions suivantes (ce n'est qu'un exemple de question, pas une liste exhaustive) : Quand je dis "c'est rien", qui est-ce que j'essaie de rassurer, l'enfant ou moi ? Est-ce qu'il est difficile pour moi de me mettre à la place de l'enfant (il est tombé, peut-être a-t-il eu peur, peut-être a-t-il mal) ? Comment mon entourage se comportait avec moi quand j'étais enfant dans ce type de situation ?
4. Le porte avion
En lien avec cette notion de caregiving, Nicole Guedeney nous propose une illustration : le porte avion. L'idée est que vous êtes un porte avion et l'enfant est l'avion.
L'avion aime voler, découvrir de nouvelles choses. Cependant il peut arriver qu'il ait besoin (en urgence ou non), de se poser pour se reposer, se ressourcer ou bien en cas de danger. Dans ce cas, le porte avion représente un havre de sécurité et doit être disponible.
Cette illustration me fait penser à une professionnelle que j'ai eu l'occasion d'observer dans une crèche collective. Dès qu'elle s'asseyait quelque part, elle écartait ses jambes et c'est tout un tas d'enfants qui venait s'y loger. Et ce peu importe le nombre de fois où elle se lève : une fois rassise, la même chose se produisait.
Vous l'aurez compris, toutes les parties de cet article sont liées, quand je parle de figure d'attachement, d'adulte référent, de caregiver et de porte avion. Si on doit résumer : en crèche l'enfant doit avoir au moins un adulte stable et disponible sur lequel il peut s'appuyer dès qu'il en a besoin.
Les liens privilégiés et les liens difficiles : du « chouchou » à l'enfant avec lequel on « a du mal ».
Dans les structures d'accueil du jeune enfant, il n'est pas rare d'entendre des professionnel.le.s dire à leurs collègues que tel enfant est leur chouchou et qu'ils/elles ont plus "de mal" avec tel autre. Est-ce un problème ?
La réponse n'est ni "oui", ni "non". Cela dépend de plusieurs facteurs. En tant qu'être humain nous avons plus ou moins d'affinités les uns avec les autres. Les relations adulte-enfant n'y échappent pas ! Il y a ces enfants qui ont des comportements qui vous sont difficilement supportables : ils ont des comportements agressifs, ils vous repoussent lorsque vous leur proposez des câlins, etc. Et il y a aussi les enfants qui peuvent vous attendrir : ceux qui se font souvent exclure, ou qui ne font pas beaucoup de bruit, ceux qui sont affectueux, etc. Ou inversement, certain.e.s professionnel.le.s sont plus touché.e.s par les enfants qui sont étiquetés comme étant "difficiles" et moins attendri.e.s par ceux qui sont plus "collants".
Il existe autant de personnalités que d'enfants et de professionnelles.
Je dirais donc que le fait de ressentir certaines préférences ou certaines réticences avec un enfant n'est pas un problème en soi : c'est naturel. Cependant, j'attire votre attention sur plusieurs points/questions :
Est-ce que ces préférences vous conduisent à prendre beaucoup plus soin de ces enfants que les autres ?
Est-ce que ces réticences vous conduisent à éviter et/ou rejeter un enfant ?
Avez-vous réfléchi aux raisons qui vous amènent à avoir ces préférences et ces réticences ?
Est-ce que ces préférences conduisent l'enfant à refuser les autres professionnel.le.s ?
Est-ce que ces réticences conduisent l'enfant à vous rejeter totalement ?
Si vous répondez oui à une de ces questions, il est possible que cette notion de préférence ou de réticence puisse poser problème.
Soit à vous, car vous ne remplissez pas votre mission de vous occuper de l'ensemble des enfants de la section ; Soit à l'enfant car il n'est pas en mesure de se saisir d'autres adultes si besoin ; Soit, plus largement, au groupe. C'est à dire aux enfants et aux professionnelles : si votre "chouchou" refuse tout autre professionnel.le.s que vous, cela peut mettre à mal l'enfant mais aussi vos collègues qui ne peuvent pas remplir leurs missions ; si les autres enfants ne peuvent pas vous solliciter car vous êtes disponibles que pour certains enfants, cela peut leur faire ressentir un sentiment de rejet et ils risquent de moins vous appeler même s'ils ont besoin.
J'aimerai aussi que vous portiez attention à votre enfant intérieur. Dans certains cas on peut s'apercevoir qu'un.e professionnel.le s'occupe préférentiellement, pour ne pas dire en totalité, d'un enfant en particulier car l'histoire de cet enfant lui fait écho, qu'il lui ressemble sur un certain nombre de points. Dans ce type de situation il peut arriver que le/la professionnel.le cherche à combler certains besoins (besoin de proximité ++, besoin de réassurance, etc). Mais ces besoins ne sont pas en réalité ceux de l'enfant : mais ceux du/de la professionnel.le.
Il est important de rappeler que les enfants ne sont pas là pour répondre à vos besoins. Ça paraît logique dit comme ça. Mais inconsciemment il arrive que ça soit le cas. Prenez le temps de vous interroger la-dessus, c'est très important. Et surtout n'hésitez pas à en parler avec vos collègues et/ou en analyse des pratiques.
N'oubliez pas qu'en tant que professionnel.le :
"Vous êtes le socle sur lequel les enfants et leur famille s'appuient dans une des périodes les plus cruciales de la vie : la petite enfance." - Johana Delesalle
Bonne réflexion…
Johana Delesalle, Psychologue petite enfance.
Pour aller plus loin…
Livres :
Junier, H. (2021a). Guide très pratique pour les pros de la petite enfance : 47 fiches pour affronter toutes les situations (2e éd). Dunod.
Junier, H. (2021b). Pour ou contre ? Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques. Dunod.
Site internet :
https://lesprosdelapetiteenfance.fr
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